L'effet direct des directives enfin reconnu par le Conseil d'Etat
C'est une nouvelle étape en matière d'intégration communautaire que vient de franchir le Conseil d'Etat, par un arrêt du 30 octobre dernier (n° 298.348). Cette importante décision illustre clairement la volonté de la haute juridiction administrative de s'inscrire dans une démarche résolument européenne. Le Conseil d'Etat y admet en effet, pour la première fois, la possibilité pour un justiciable de se prévaloir d'une directive à l'appui d'un recours contre un acte individuel.Ce revirement de jurisprudence marque une évolution des esprits. Depuis 1978 et un fameux arrêt Cohn-Bendit, le Conseil d'Etat jugeait que les directives communautaires ne sont pas directement invocables par un particulier devant le juge français. Cette jurisprudence ne correspondait pas à celle du juge communautaire : dès 1974, dans un arrêt Van Duyn, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) jugeait qu'un justiciable peut invoquer directement les dispositions d'une directive non transposée, à condition qu'elles soient précises et inconditionnelles. Une décision dont le juge administratif français s'était donc écarté en 1978, s'en tenant à la lettre du traité européen (qui prévoit que les directives lient seulement les Etats quant aux résultats à atteindre, mais leur laissent le choix des moyens à utiliser).
Le dernier barrage levéL'Union européenne a pris aujourd'hui une autre dimension. La Constitution consacre désormais une obligation de transposition des directives. La plupart des juridictions des autres Etats membres se sont peu à peu ralliées à la position de la Cour de Luxembourg. En France, les conséquences pratiques de l'arrêt Cohn-Bendit se sont progressivement réduites au fil du temps : le juge a ainsi reconnu la possibilité d'invoquer une directive contre un acte réglementaire. La même possibilité a été ouverte au justiciable contre une décision individuelle par le biais de la technique de « l'exception », lorsqu'une telle décision a été prise en application d'un acte réglementaire, lui-même contraire à une directive. Le Conseil d'Etat a levé le dernier barrage le 30 octobre dernier, accédant, trente et un ans plus tard, au voeu du commissaire au gouvernement dans l'affaire Cohn-Bendit : « A l'échelon de la Communauté européenne, il ne doit y avoir ni gouvernement des juges ni guerre des juges. Il doit y avoir place pour le dialogue des juges. »
Reste que cet effet direct des directives n'est pas sans limites. Le Conseil d'Etat reprend ici les conditions posées par le juge communautaire : d'une part, une directive n'est pas applicable entre particuliers : elle ne crée de droits qu'à l'égard des autorités publiques. D'autre part, les dispositions invoquées doivent être précises et non conditionnelles. Or, en l'espèce, tel n'était pas le cas. La requérante, une magistrate ayant des activités syndicales et s'estimant victime de discrimination, demandait le bénéfice d'une directive du 27 novembre 2000. Celle-ci organise un dispositif adapté de charge de la preuve pour les affaires de discrimination. Mais, ouvrant la faculté pour les Etats de déroger dans certains cas à ce nouveau régime, elle n'est pas inconditionnelle. Conséquence : la requérante ne pouvait pas l'invoquer. Elle restait donc soumise au droit commun français, qui impose à celui qui s'estime victime de discrimination de le prouver. Une preuve souvent difficile à rapporter…
Mais - autre apport important de l'arrêt -, le juge administratif décide de créer, par voie purement prétorienne, un régime de preuve très proche de celui prévu par la directive du 27 novembre 2000 : dès lors que le requérant fait état d'un faisceau d'indices à l'appui de sa thèse, on entre dans un mécanisme de présomption. La charge de la preuve pèse alors sur l'administration. Ce n'est pas la première fois que le Conseil d'Etat trouve dans le droit européen la source d'inspiration d'un principe qu'il consacre par voie jurisprudentielle ; cette méthode n'est pas sans rappeler la décision KPMG du 24 mars 2006, qui avait consacré le principe - non écrit - de sécurité juridique en droit français, inspiré du droit communautaire. Cet arrêt du 30 octobre 2009 est, sans nul doute, une nouvelle manifestation de l'émergence, par touches successives, d'un véritable droit public européen commun à tous les Etats membres de l'Union.
Les Echos - 12/11/2009 par YANN AGUILA
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