lundi 22 février 2010

Combien ça coûte ?

Dans son rapport annuel, publié mardi 9 février, la Cour des comptes pointe une nouvelle fois une série d'anomalies dans la gestion des comptes publics. La Cour dénonce notamment la mauvaise gestion de l'État, sa frilosité et son manque d'engagement. Elle rappelle également plusieurs fois qu'elle avait déjà dénoncé certaines mêmes anomalies dans le passé.

•    Les inspecteurs fantômes de l'académie de Paris. Créé par Napoléon Bonaparte, ces fonctionnaires étaient à la base chargés de l'inspection des enseignants et des établissements scolaires du second degré. Au fil du temps, la gestion de ces agents a évolué. Selon la Cour, ils sont aujourd'hui des conseillers du président de la République, du premier ministre ou des ministres, voire des élus locaux et continuent d'assurer ces fonctions. Seul 1 sur 22 inspecteurs effectuait en juin 2009 la mission d'inspection de l'éducation. La Cour juge "indispensable" la suppression de ce corps.

•    La mauvaise gestion du dossier A400M. L'airbus militaire fait l'objet d'une âpre négociation entre EADS et les sept États partenaires du projet, sur la répartition de plus de 5 milliards d'euros de surcoût. La Cour dénonce "le niveau trop ambitieux des performances" exigées, certaines se révélant "irréalisables par l'industriel maître d'œuvre". Acheter des avions de "pays tiers", donc américains, "aurait permis de doter plus rapidement les forces françaises des moyens de projection qui leur font défaut et n'aurait sans doute pas été plus onéreux", assure le rapport. La Cour constate des écueils similaires sur d'autres programmes, comme le Rafale ou les hélicoptères de transport NH90 et d'attaque Tigre.

•    Des voitures de police utilisées à des fins privées. De janvier 2003 à septembre 2008, le nombre de voitures banalisées possédées par la police nationale a augmenté de 21 % (de 1 218 à 1 469 véhicules). "Les usages privés sont généralisés", note la Cour. Elle relève aussi que 31 véhicules sont à disposition de personnes sans rapport avec la police, dont "un ancien président de la République, deux anciens premiers ministres", des anciens ministres et des fonctionnaires. La Cour demande la fin des usages privés, la réglementation de la mise à disposition et une meilleure gestion générale.

•    Des contrôles fiscaux inégaux. "Certains secteurs d'activité, certaines catégories de contribuables (...) et certains impôts sont moins contrôlés que d'autres, parce que c'est plus difficile et moins immédiatement rentable en termes budgétaire ou répressif", dénonce la Cour. Les agriculteurs, les services juridiques, financiers, de santé ou d'immobilier sont relativement épargnés. A l'inverse, près du tiers des plaintes pour fraude fiscale déposées par l'administration visaient en 2008 des entrepreneurs du bâtiment, dont une grande partie de "maçons originaires d'un même pays méditerranéen". "La politique du contrôle fiscal n'est pas marquée du sceau de l'équité et d'une volonté acharnée d'aller porter le fer là où ça fait mal", a estimé Alain Pichon, président par intérim (voir encadré). Selon le rapport, des anomalies émaillent également le contrôle fiscal des agents vérificateurs eux-mêmes, souvent réalisé par des collègues ou des subordonnés et parfois jugé "plus clément".

•    Un lutte contre les fraudes à l'assurance chômage inaboutie. La Cour des comptes évalue le préjudice des fraudes à deux milliards d'euros par an, dont plus de la moitié est à imputer aux employeurs qui ne déclarent pas leurs salariés et ne payent pas les cotisations chômages. Le préjudice lié à la fraude aux allocations atteindrait elle près de 800 millions d'euros. La Cour note des disparités de corps de métier (les intermittents du spectacle sont sur-représentés dans les dossiers de fraude) et de région (en 2007, on risquait par exemple deux fois moins de se faire sanctionner en Midi-Pyrénées qu'en Basse-Normandie). Seuls 2 % des demandeurs d'emploi seraient indemnisés alors qu'ils ne recherchent pas vraiment de travail, selon des statistiques 2007 des ministères chargés de l'emploi et du travail.

•    Sécurité sociale : le papier encore privilégié à l'électronique. "L'assurance-maladie a encore reçu quelque 150 millions de feuilles de soins papier en 2009", soit "une dépense évitable de 200 millions d'euros par an", souligne la Cour. Une feuille de soins papier coûte en moyenne 1,74 euro à la Sécu contre 0,27 pour une feuille télétransmise. En 2008-2009, "pas moins de 41 % des spécialistes et 27 % des généralistes (...) n'émettaient aucune feuille de soins électronique", indique le rapport. La loi "Hôpital, patients, santé, territoires", votée en 2009, a introduit une amende pour les médecins recourant encore aux feuilles papier, mais des négociations difficiles entre l'assurance-maladie et les syndicats de médecins ont retardé sa mise en place. La Cour préconise que l'amende que devront verser les médecins soit fixée "à un montant dissuasif" et "sans autre délai". L'assurance-maladie a indiqué que la taxe serait effective à partir du mois de mai et située autour de 50 centimes d'euros par feuille de soins papier.

•    L'endettement des ménages en augmentation. Le nombre de dossiers de sur-endettement de particuliers est passé de 70 000 en moyenne annuelle au début des années 1990 à 185 000 par an entre 2004 et 2008. Le coût pour les fonds publics est inconnu car non évalué. La Cour propose notamment de contraindre les banques à participer financièrement à la gestion du problème.

•    Le coût disproportionné des niches fiscales. Le déficit public est passé de 3,4 % du PIB fin 2008 à 7,9 % fin 2009, une augmentation pas uniquement imputable à la crise. Ce déficit structurel est aussi le résultat du non respect par le gouvernement de ses engagements en matière d'encadrement des "niches fiscales". Le gouvernement s'était engagé à ce que chaque nouvelle "niche" soit gagée par la suppression d'une dépense d'un montant équivalent. D'après la Cour, le coût des nouvelles niches l'an dernier est supérieur de 1,2 milliard d'euros aux gains obtenus dans le même temps par ces suppressions. Le manque à gagner pour l'Etat passerait ainsi de 65,9 milliards d'euros à 70,7 milliards en 2009, soit une hausse de 7,3 %. Au total, les recettes fiscales nettes de l'Etat diminueront d'environ six milliards d'euros en 2009 et de deux milliards de plus en 2010, hors réforme de la taxe professionnelle et hors plan de relance, relève la Cour.
   
•    Le coût des défiscalisations pour l'outre-mer. La Cour demande la révision complète de la loi Girardin, faite pour attirer les capitaux privés outre-mer. Via cette loi, l'État consent de facto des avances à des taux d'intérêt supérieurs à 10 % pour des investissements immobiliers et 60 % pour les investissements industriels. Les investisseurs ont le droit de reprendre leur argent au bout de cinq ou six ans. La cour demande la révision complète du dispositif : la défiscalisation d'investissements en outre-mer a coûté 1,28 milliard d'euros à l'État en 2009 et coûtera 1,4 milliard en 2010, alors que les investissements s'avèrent souvent temporaires.

Retrouvez le rapport complet sur www.ccomptes.fr
Article original : http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/02/09/dette-gachis-favoritisme-la-cour-des-comptes-n-epargne-pas-l-etat_1303515_823448.html

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Marc Guidoni