Au moment où la protection des droits et libertés atteint enfin dans notre pays un degré d’intégration juridique maximum avec la question prioritaire de constitutionnalité, divers événements et plus globalement une certaine vision du fonctionnement de notre pays m’interrogent sur la réalité de la prise en compte des droits fondamentaux. Toujours soucieux de cette question, qui m’a occupé à titre principal durant quelques années dans le cadre de mes travaux universitaires, j’ai trouvé, dans une interview récente du Professeur Dominique Rousseau, de nouvelles inquiétudes à commenter, et surtout à partager pour favoriser une prise de conscience plus générale de l’état de notre État de droit.
L’imposture démocratique
C’est, selon Dominique Rousseau, en 1997 qu’il faut rechercher la date du glissement du système juridique français vers une conception sécuritaire de la vie sociale, faisant de la sécurité une liberté, sinon la première de toutes. Pour l’emporter aux législatives, la gauche se serait ralliée à cette vision, historiquement ancrée à droite, et même un peu plus à droite. Depuis 2001, c’est évidemment la lutte permanente et légitime contre le terrorisme, qui a pu justifier toutes les mesures prises pour restreindre les libertés. Ce faisant, la France basculait dans l’imposture : « nous n’avons pas gagné en sécurité, mais nous avons perdu en liberté. Il faut revenir au principe démocratique : la liberté est la première des sécurités. »
C’est en fait un changement de modèle de société qui se fait au mépris de la volonté populaire. Les résistances des fonctionnaires, des chercheurs, … sont dénoncées dans les médias comme faisant courir des risques futurs. C’est le retour de la raison d’Etat, le primat du fonctionnement des institutions sur la vie démocratique et ses principaux acteurs, les citoyens. « Plutôt que de faire de la liberté une chance pour imaginer la société qui vient, le gouvernement, en mettant l’accent sur la peur, instille dans le corps social l’idée que la liberté est dangereuse. »
Liberté et intérêt général vs efficacité et sécurité
La situation actuelle de la France a ceci de préoccupant. « En apparence, tout va bien. On peut manifester, acheter des journaux, aller et venir, … » Mais discrètement une politique répressive et sécuritaire s’installe peu à peu. Elle remet en question de manière régulière le socle de nos libertés, souvent de manière imperceptible : déremboursement des médicaments, nomination par le pouvoir exécutif des dirigeants de l’audiovisuel public, bouclier fiscal cumulé à des systèmes d’exonération qui limitent la participation des plus riches au fonctionnement de la société, démantèlement du droit du travail … Autant de décisions qui contrarient les principes fondamentaux de la République : la répartition des charges publiques, la libre communication des pensées, la protection de la santé, … On pourrait ajouter les menaces sur le droit à l’éducation et à l’instruction que peuvent faire peser certaines décisions prises dans l’administration de l’Education nationale, aux motivations essentiellement économiques.
A cela s’ajoute la condition des hommes et des femmes saisis par le système pénal : la présomption d’innocence n’est pas mise à mal seulement dans les médias par des déclarations imprudentes. On retient ainsi des personnes par des mesures de sûreté fondées sur la ‘dangerosité potentielle’ dont les critères restent flous. Et la réponse pénale à la délinquance des mineurs se durcit au gré des sondages qui montrent que la société est fâchée avec sa jeunesse. « Tout cela crée, par petites touches, – la loi sur les bandes, les peines plancher, le bracelet électronique – une atmosphère beaucoup plus favorable à la peur, à l’insécurité, à la méfiance, et fait tache sur l’état des libertés. »
Un tel progrès pourquoi faire ?
Dominique Rousseau évoque ensuite la QPC, « le seul point sur lequel il y a une avancée ». Malgré les doutes qui peuvent peser sur la réalité du rééquilibrage opéré par la révision constitutionnelle de juillet 2008, c’est un fait, nous avons tous ici gagné un droit !Ainsi, le Conseil constitutionnel, malgré sa composition discutable, reste aujourd’hui l’institution qui permet que soient discutées les lois au regard des droits et libertés fondamentales. » Mais l’attitude des politiques dans la question de l’interdiction de la burqa minore de fait ce progrès essentiel.
De fait, alors que le Conseil d’Etat a mis en garde le gouvernement sur l’absence de fondement juridique d’une interdiction, il est acquis que l’on passera outre, que l’on prendra le risque de l’inconstitutionnalité. Qu’est-ce que cela signifie ? Quelle est la solidité démocratique d’un pays dans lequel les responsables politiques remettent en cause les principes fondateurs, au point qu’il semble que les droits et libertés de 1789 dérangent ?
L’intégralité de l’entretien : L’Etat des libertés en France : les valeurs de 1789 s’éloignent (07 juin 2010)
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Cordialement, Marc Guidoni