jeudi 14 mai 2015

Laïcité : 2015, année zéro (2)

(ce billet fait suite à celui publié le 12 mai 2015 que vous pouvez retrouver ici)

Question 2 : On entend de plus en plus dire que la religion doit se cantonner dans la sphère privée. Est-ce que c'est ce que signifie la laïcité ?

Avant de répondre aux questions suivantes qui portent sur l'entreprise ou l'espace public, il est en effet indispensable de résoudre ce problème.

En France, jusqu’à nouvel ordre, la laïcité est une construction juridique à valeur constitutionnelle et non une idéologie particulière, à la manière d’une courant humaniste non confessionnel. Elle relève donc du droit public, et non de l’intimité des consciences.

Elle est définie par la loi du 9 décembre 1905, qui dispose que la République : 
  • assure la liberté de conscience (qui inclut le droit de ne pas croire), objectif premier ;
  • garantit le libre exercice des cultes l’expression publique de la religion, objectif second, car subordonné au respect de la liberté de conscience (qui la précède) et sous réserve des mesures d’ordre public ; 
  • « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (la « séparation des églises et de l’Etat » repose sur le principe de non-reconnaissance juridique).



Cela signifie bien que :
  1. sont protégées (obligation de neutralité et égalité de traitement des citoyens) seulement les personnes de droit public ou exerçant une mission de service public (pas la rue) ;
  2. la religion s’exerce bien « en public » (processions, sonneries de cloche), mais dans le cadre du droit privé associatif ;
  3. seule la croyance individuelle (distincte e la religion) relève de la sphère privée, protégée par le principe de liberté de conscience.

Donc la loi ne distingue pas la sphère publique de la sphère privée. D’autant qu’il y aurait finalement dans la société, selon les spécialistes, 4 sphères, dont 3 (pas moins !) seraient publiques. (On lira utilement ce document de la Ligue des Droits de l'Homme "Pluralisme et laïcité")

En effet, l’observation du fonctionnement de la société française permet en fait de constater l’existence de 3 sphères publiques aux réalités différentes :
  • Les institutions politiques (stricte neutralité)
  • Les services publics (neutralité pour les agents, liberté de principe pour les usagers avec diverses adaptations liées à l’organisation ou à l’activité elle-même)
  • Les lieux publics (liberté sous réserve du respect de l’ordre public)

La notion de sphère privée est finalement plus difficile à saisir, à travers les acceptions diverses et variées de la protection de la vie privée dans notre monde sur-médiatisé ou sur-protégé : « chez soi » (propriété privée), « cercle familial »,  « intimité » sont invoqués pour protéger la « vie privée » et le « droit à l’image » ou le « droit au secret ».

Dans des espaces toujours plus étroits comme ceux de la vie urbaine, ou encore diffus, comme les réseaux sociaux, aucune de ces visions n’est insuffisante. Elles sont surtout totalement inopérantes face aux intrusions du législateur ou du juge, parfois légitimes (violences conjugales, protection contre l’injure ou la diffamation…). Il n’y aurait plus finalement de privé que le for intérieur. Cela peut correspondre à certains modèles religieux, mais sans doute pas aux confessions chrétiennes.

En conclusion, le discours dominant qui renvoie la religion à la sphère privée méconnaît les droits reconnus aux croyants au nom de la protection des non-croyants. La République échoue régulièrement ces temps-ci dans la hiérarchisation des principes fondamentaux. Une manifestation de la prégnance d’une vision anglo-saxonne des rapports sociaux, basé sur le principe de non-discrimination et qui provoque une sorte de victimisation communautaire.

Question 3 : Le principe de laïcité est-il applicable à l’entreprise ? A la télévision ?
à suivre...

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Cordialement,
Marc Guidoni