A quelques instants de la trêve hivernale des expulsions, le sort du petit Jésus n'est pas définitivement tranché. S'il restera installé douillettement dans sa crèche, c'est la place de celle-ci qui pose encore question. Deux décisions de la juridiction administrative, séparées de quelques heures et d'environ 350 kilomètres, viennent en effet de relancer le débat sur le caractère religieux de cette représentation naïve de la Nativité.
La culture chrétienne est-elle une expression religieuse ?
Il n’est pas vraiment question ici de « religion » ou de « religiosité », mais bien de culture. Nos musées sont remplis d’œuvres d’art dont les créateurs ont puisé l’inspiration dans la Bible ou la vie des Saints. Que dire alors des édifices religieux, monuments élevés à la gloire de Dieu et pour le service du culte ? Il n’est pourtant pas nécessaire d’avoir la foi pour apprécier, s’émerveiller même, devant ces architectures, sculptures, peintures…
Ce qui se joue dans la jurisprudence est plutôt de l’ordre du « sacré » et de la « foi ». Comme le disait un éditorialiste des Cahiers Libres, le Christ a invité les hommes à changer leur cœur, pas les chrétiens à décorer leurs maisons avec des petits personnages d’argile.
Une jurisprudence hésitante
- TA Amiens 30 novembre 2010
"la crèche, dont l'aménagement a été décidé par la délibération attaquée pour les fêtes de Noël de l'année 2008, représentait, dans un premier temps, Marie et Joseph, puis également, à partir du 25 décembre 2008, l'enfant Jésus ; que cette crèche, installée sur un emplacement public, la place du village de Montiers, constituait, dès lors, un emblème religieux de la religion chrétienne, qu'ainsi en décidant de l'aménagement d'une telle crèche, le conseil municipal de M. a méconnu les dispositions de l'article 28 la loi du 9 décembre 1905 ".
- T.A. Nantes 3 décembre 2014
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la crèche, dont l’aménagement est renouvelé chaque année dans le hall de l’hôtel du département de la Vendée pour les fêtes de Noël et notamment au titre de l’année 2012, représente, par son contenu qui illustre la naissance de Jésus Christ, et sa concomitance avec les préparatifs de la fête chrétienne de la nativité, un emblème religieux spécifique dont la symbolique dépasse la simple représentation traditionnelle familiale et populaire de cette période de fête ; que le département n’établit pas que la présence, renouvelée chaque année et à la même période, de cette crèche participerait d’une exposition ni que le hall de l’hôtel du département serait aménagé en tant que musée ; qu’ainsi, en refusant de mettre un terme à l’aménagement d’une telle crèche, dans un lieu dont il est constant qu’il est ouvert au public, le président du conseil général de la Vendée, qui ne démontre pas l’existence d’un particularisme local qui l’autoriserait à maintenir une telle présentation, a méconnu les dispositions précitées de l’article 28 la loi du 9 décembre 1905 ;
A rapprocher de la décision du T.A. Grenoble à propos de la « Vierge du Léman » en février 2015
Considérant que la statue de la Vierge portant l'inscription «Notre Dame du Léman veille sur tes enfants» constitue un emblème religieux ; qu'il est constant que le terrain sur lequel elle a été édifiée est un parc public ; que (…) la commune ne pouvait légalement autoriser l'installation de cette statue sur le domaine public communal», le tribunal administratif, au nom de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État, a décidé «d'annuler les décisions (…) par lesquelles le maire de Publier a refusé de déplacer la statue de Notre Dame du Léman en dehors du domaine public communal.
On se rappelle aussi qu'il y a quelques mois le TA de Rennes avait considéré que la statue de Jean-Paul II ne constituait pas en soi un emblème religieux. Lire ici
- TA Melun 22 décembre 2014
« Considérant que si la fête de Noël a été longtemps confondue avec la fête chrétienne de la Nativité, dans une société largement sécularisée, elle a perdu ce caractère religieux pour devenir une fête familiale traditionnelle ; que de même, si une crèche peut être regardée comme une reproduction figurative de la naissance de Jésus, elle est dépourvue de toute signification religieuse lorsque elle est installée temporairement en dehors des lieux de culte à l’occasion de la fête de Noël et hors de tout contexte rappelant la religion chrétienne, et constitue alors une des décorations traditionnellement associées à Noël comme le sapin de Noël ou les illuminations ; qu’en l’espèce, la crèche objet du litige, installée de manière non ostentatoire du 15 au 30 décembre 2012 dans une niche sous le porche permettant de passer de la cour d’honneur de l’Hôtel de ville au jardin public y attenant, et dépourvue de tout autre symbole évoquant la religion chrétienne, doit être regardée comme une des décorations festives que la commune a coutume d’installer à l’occasion de Noël ; qu’elle ne constitue donc pas un emblème religieux prohibé par les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précitée et ne crée aussi aucune discrimination entre les citoyens ; que, par suite, la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne n’est pas fondée à demander l’annulation des décisions qu’elle conteste ; »
Les décisions d'octobre 2015
La CAA de Nantes s'empare du litige vendéen, lorsque celle de Paris veut résoudre celui de Melun. Les deux cours rendent deux décisions diamétralement opposées :
- CAA Paris 8 octobre 2015 (texte intégral)
Considérant que si la commune fait valoir que la crèche litigieuse est de taille limitée et n'est pas implantée de manière ostentatoire ou revendicative, il est constant que celle-ci est installée dans une niche située sous un porche permettant le passage de la cour d'honneur de la mairie de Melun à un jardin public situé derrière et est donc comprise dans l'enceinte du bâtiment public que constitue cet Hôtel de ville ; que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, une crèche de Noël, dont l'objet est de représenter la naissance de Jésus, installée au moment où les chrétiens célèbrent cette naissance, doit être regardée comme ayant le caractère d'un emblème religieux au sens des dispositions précitées de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et non comme une simple décoration traditionnelle ; que, par suite, son installation dans l'enceinte d'un bâtiment public est contraire à ces dispositions ainsi qu'au principe de neutralité des services publics ;
- CAA Nantes 13 octobre 2015 (communiqué de presse)
La Cour a estimé que l'installation d'une crèche de la nativité dans le hall de l'hôtel du département de la Vendée, compte tenu de sa faible taille, de sa situation non ostentatoire et de l'absence de tout autre élément religieux, s'inscrivait dans le cadre d'une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël, alors même qu'elle ne se rattachait pas à un particularisme local.
Elle a donc jugé que l'installation de cette crèche ne revêtait pas la nature d'un "signe ou emblème religieux" au sens de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat et ne méconnaissait pas les principes de liberté de conscience et de neutralité du service public.
Il ne reste plus désormais qu'à espérer du Conseil d'Etat, s'il est invité à se mêler de ces affaires, qu'il rende une décision équilibrée. On ne peut pas dire que les arguments retenus par chaque cour d'appel, qui ont tout l'air tirés des jugements rendus dans le ressort de l'autre, lui facilitent la tâche.
La culture chrétienne est-elle une expression religieuse ?
Il n’est pas vraiment question ici de « religion » ou de « religiosité », mais bien de culture. Nos musées sont remplis d’œuvres d’art dont les créateurs ont puisé l’inspiration dans la Bible ou la vie des Saints. Que dire alors des édifices religieux, monuments élevés à la gloire de Dieu et pour le service du culte ? Il n’est pourtant pas nécessaire d’avoir la foi pour apprécier, s’émerveiller même, devant ces architectures, sculptures, peintures…
Ce qui se joue dans la jurisprudence est plutôt de l’ordre du « sacré » et de la « foi ». Comme le disait un éditorialiste des Cahiers Libres, le Christ a invité les hommes à changer leur cœur, pas les chrétiens à décorer leurs maisons avec des petits personnages d’argile.
Une jurisprudence hésitante
- TA Amiens 30 novembre 2010
"la crèche, dont l'aménagement a été décidé par la délibération attaquée pour les fêtes de Noël de l'année 2008, représentait, dans un premier temps, Marie et Joseph, puis également, à partir du 25 décembre 2008, l'enfant Jésus ; que cette crèche, installée sur un emplacement public, la place du village de Montiers, constituait, dès lors, un emblème religieux de la religion chrétienne, qu'ainsi en décidant de l'aménagement d'une telle crèche, le conseil municipal de M. a méconnu les dispositions de l'article 28 la loi du 9 décembre 1905 ".
- T.A. Nantes 3 décembre 2014
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la crèche, dont l’aménagement est renouvelé chaque année dans le hall de l’hôtel du département de la Vendée pour les fêtes de Noël et notamment au titre de l’année 2012, représente, par son contenu qui illustre la naissance de Jésus Christ, et sa concomitance avec les préparatifs de la fête chrétienne de la nativité, un emblème religieux spécifique dont la symbolique dépasse la simple représentation traditionnelle familiale et populaire de cette période de fête ; que le département n’établit pas que la présence, renouvelée chaque année et à la même période, de cette crèche participerait d’une exposition ni que le hall de l’hôtel du département serait aménagé en tant que musée ; qu’ainsi, en refusant de mettre un terme à l’aménagement d’une telle crèche, dans un lieu dont il est constant qu’il est ouvert au public, le président du conseil général de la Vendée, qui ne démontre pas l’existence d’un particularisme local qui l’autoriserait à maintenir une telle présentation, a méconnu les dispositions précitées de l’article 28 la loi du 9 décembre 1905 ;
A rapprocher de la décision du T.A. Grenoble à propos de la « Vierge du Léman » en février 2015
Considérant que la statue de la Vierge portant l'inscription «Notre Dame du Léman veille sur tes enfants» constitue un emblème religieux ; qu'il est constant que le terrain sur lequel elle a été édifiée est un parc public ; que (…) la commune ne pouvait légalement autoriser l'installation de cette statue sur le domaine public communal», le tribunal administratif, au nom de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État, a décidé «d'annuler les décisions (…) par lesquelles le maire de Publier a refusé de déplacer la statue de Notre Dame du Léman en dehors du domaine public communal.
On se rappelle aussi qu'il y a quelques mois le TA de Rennes avait considéré que la statue de Jean-Paul II ne constituait pas en soi un emblème religieux. Lire ici
- TA Melun 22 décembre 2014
« Considérant que si la fête de Noël a été longtemps confondue avec la fête chrétienne de la Nativité, dans une société largement sécularisée, elle a perdu ce caractère religieux pour devenir une fête familiale traditionnelle ; que de même, si une crèche peut être regardée comme une reproduction figurative de la naissance de Jésus, elle est dépourvue de toute signification religieuse lorsque elle est installée temporairement en dehors des lieux de culte à l’occasion de la fête de Noël et hors de tout contexte rappelant la religion chrétienne, et constitue alors une des décorations traditionnellement associées à Noël comme le sapin de Noël ou les illuminations ; qu’en l’espèce, la crèche objet du litige, installée de manière non ostentatoire du 15 au 30 décembre 2012 dans une niche sous le porche permettant de passer de la cour d’honneur de l’Hôtel de ville au jardin public y attenant, et dépourvue de tout autre symbole évoquant la religion chrétienne, doit être regardée comme une des décorations festives que la commune a coutume d’installer à l’occasion de Noël ; qu’elle ne constitue donc pas un emblème religieux prohibé par les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précitée et ne crée aussi aucune discrimination entre les citoyens ; que, par suite, la Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne n’est pas fondée à demander l’annulation des décisions qu’elle conteste ; »
Les décisions d'octobre 2015
La CAA de Nantes s'empare du litige vendéen, lorsque celle de Paris veut résoudre celui de Melun. Les deux cours rendent deux décisions diamétralement opposées :
- CAA Paris 8 octobre 2015 (texte intégral)
Considérant que si la commune fait valoir que la crèche litigieuse est de taille limitée et n'est pas implantée de manière ostentatoire ou revendicative, il est constant que celle-ci est installée dans une niche située sous un porche permettant le passage de la cour d'honneur de la mairie de Melun à un jardin public situé derrière et est donc comprise dans l'enceinte du bâtiment public que constitue cet Hôtel de ville ; que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, une crèche de Noël, dont l'objet est de représenter la naissance de Jésus, installée au moment où les chrétiens célèbrent cette naissance, doit être regardée comme ayant le caractère d'un emblème religieux au sens des dispositions précitées de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et non comme une simple décoration traditionnelle ; que, par suite, son installation dans l'enceinte d'un bâtiment public est contraire à ces dispositions ainsi qu'au principe de neutralité des services publics ;
- CAA Nantes 13 octobre 2015 (communiqué de presse)
La Cour a estimé que l'installation d'une crèche de la nativité dans le hall de l'hôtel du département de la Vendée, compte tenu de sa faible taille, de sa situation non ostentatoire et de l'absence de tout autre élément religieux, s'inscrivait dans le cadre d'une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël, alors même qu'elle ne se rattachait pas à un particularisme local.
Elle a donc jugé que l'installation de cette crèche ne revêtait pas la nature d'un "signe ou emblème religieux" au sens de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat et ne méconnaissait pas les principes de liberté de conscience et de neutralité du service public.
Il ne reste plus désormais qu'à espérer du Conseil d'Etat, s'il est invité à se mêler de ces affaires, qu'il rende une décision équilibrée. On ne peut pas dire que les arguments retenus par chaque cour d'appel, qui ont tout l'air tirés des jugements rendus dans le ressort de l'autre, lui facilitent la tâche.
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Cordialement, Marc Guidoni