Depuis plusieurs mois, sinon années, les juristes cherchent la lumière dans un débat politique aussi creux que certaines figurines de plâtre qui décorent jardins, maisons, lieux de culte chrétien ou villes et villages à l'occasion de la fête de Noël.
Au moment où l'Education Nationale pourrait envisager de renommer les vacances de fin d'année pour être plus respectueux de l'ensemble des croyances ou non-croyances de la population, ce débat est relancé tactiquement par des élus soucieux de "patrimoine culturel", dans un sens qui leur est tout à fait particulier. Bref, la France pourrait-elle bientôt se déchirer à propos d'un couple juif mettant au monde un enfant dans un certain dénuement, bientôt entourés de mages orientaux peu catholiques et dont les effigies seraient dressées aux coins des rues ?
A bien regarder les récentes décisions du Conseil d'Etat, on peut donc compter plusieurs raisons de "faire la crèche" comme le dit l'expression populaire.
Une crèche religieuse
Placée dans les églises chrétiennes, la représentation de la nativité du Christ revêt là son expression confessionnelle sans aucune ambiguïté. Il ne s'agit pas de sacrifier à une tradition, mais bien de marquer le souvenir de la naissance du sauveur. A minuit le 25 décembre, le célébrant présente ainsi l'enfant-Jésus et le dépose dans la paille, parfois après une procession, sans toutefois que cette action revête un caractère liturgique ou sacramentel pour les catholiques.
A n'en pas douter, les familles chrétiennes qui réalisent chaque année une crèche au moment de Noël expriment ainsi à leur tour une forme de ferveur, à laquelle put se mêler une forte tradition locale, qui se manifeste par la physionomie des santons.
Une telle démarche ne saurait présider à l'installation d'une crèche dans un établissement public.
Une crèche festive
Parce que la fête de Noël est entourée d'un nombre important de symboles qui tous, à un moment de l'histoire, on fait écho à une croyance, païenne ou religieuse, on trouve partout comme des sapins ou des pères Noël des crèches festives, c'est-à-dire dont le seul objet est d'ajouter au décor des célébrations de fin d'année. Posées ici ou là sans arrière-pensée, elles se montrent dans les vitrines ou les rayons des commerce dans une logique saisonnière, comme la citrouille d'Halloween ou les chocolats de Pâques.
A ce titre, il ne semble pas impossible qu'au milieu de tous les décors de Noël, une commune ou un établissement public puisse élever une crèche. Encore faudra-t-il rapporter une preuve, liée aux "circonstances particulières" sans doute.
Une crèche culturelle et artistique
Nous voici face à une situation délicate... qui pourrait se résoudre de deux manières.
La première, en Provence ou ailleurs, ce serait d'évoquer le statut "d'exposition temporaire" proposé par la loi de 1905 d'une oeuvre qui, certes religieuses, relève de l'art et de la culture. Ainsi, l'exposition de santons provençaux historiques (ou de leur reproduction) pourrait être admise, ou encore de figurines de tout style après tout, signée par un artiste local, international, ou venant de temps anciens.
Autre possibilité, répondre par le nombre. Au lieu d'une crèche, en proposer plusieurs, représentant plusieurs formes d'expressions artistiques ou culturelles, au titre des différentes façons de fêter Noël ici ou là. On pourrait imaginer ajouter alors diverses objets liés aux traditions de Noël au milieu desquels la crèche serait exposée.
Une crèche politique
Il reste une dernière raison d'élever une crèche lorsqu'on dirige une collectivité territoriale : politique. Derrière l'évocation d'une tradition séculaire, ces élus séduisent de nombreuses personnes en faisant porter à la crèche un sinistre message, si loin de celui que lui attachent les chrétiens.
"Vous n'êtes pas les bienvenus chez nous" semblent dire ces tristes sires, comme on répondit sans doute à chacune des portes auxquelles Joseph et Marie ont frappé avant de se réfugier dans une étable.
C'est ce que je choisis de lire derrière les lignes de la décision rendu le 1er décembre dernier par le Tribunal administratif de Lille à propos de la crèche d'Hénin Beaumont, dont l'interdiction est donc confirmée comme portant atteinte à la neutralité :
Considérant, qu’il est constant que la décision attaquée porte installation d’une crèche dans le hall de l’hôtel de ville d’Hénin-Beaumont, siège de la municipalité ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ladite crèche, composée de sujets sans valeur historique ou artistique particulière, ait revêtu le caractère d’une exposition d’œuvres d’art ; que, dès lors que lesdits sujets ne sont en rien liés à une tradition minière spécifique, la tenue simultanée d’une exposition dans le hall reconstituant la cité minière de Darcy ne permet pas de regarder l’installation de la crèche comme un prolongement de cette exposition ou même une manifestation culturelle distincte ; que si la commune a inscrit cette installation dans le calendrier des manifestations festives organisées par la municipalité pour la fin d’année, il n’est pas établi qu’elle s’enracine dans une tradition locale préexistante ou qu’elle puisse être considérée comme une extension du marché de Noël qui se tient à l’extérieur du bâtiment et sans proximité immédiate avec celui-ci ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner si cette installation présente un caractère ostentatoire ou prosélyte, M. X est fondé à soutenir que la mise en place de la crèche de Noël litigieuse a méconnu le principe de neutralité des personnes publiques et à demander l’annulation de la décision du 1er décembre 2015 portant installation de ladite crèche ;
Chers lecteurs, quelle que soit la raison pour laquelle vous fêterez bientôt Noël, quelle que soit la raison pour laquelle vous ferez ou non une crèche chez vous, allumerez des bougies ou dresserez un sapin, rappelons-nous que la Laïcité est principe de paix, Ça tombe bien, non ?
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Cordialement, Marc Guidoni