vendredi 2 février 2018

A quoi sert l'école ?

Il y a quelques jours j'ai été interpellé poliment sur Twitter à l'occasion d'un échange sur l'éducation. La question était :"finalement, pour vous, à quoi sert l'école ?". En répondant alors "Pas de polémique !", je n'avais nulle volonté de fuir le débat... j'étais dans le TGV et ma connexion et ma connexion ne m'assurait pas la disponibilité nécessaire. Les jours passant, il est temps de partager ici quelques réflexions sur le sujet.


De quoi parle-t-on ?

Peut-on en effet répondre à la question sans traiter au moins un préalable : qu'est-ce que l'école ? Et peut-être même un second : de quelle école parle-t-on ?

Alors disons-le tout net, sur l'école elle-même, je me contente volontiers de l'étymologie : elle est ce loisir consacré à l'étude, comprenez ce temps improductif (gratuit, qui ne sert à rien sur le plan économique) destiné à l'élévation de l'âme. On dirait finalement aujourd'hui un "lieu de culture". On notera aussi que dans l'Antiquité l'école n'est pas toujours collective, alors que cela semble improbable aujourd'hui. Que j'aimerais qu'il en soit ainsi aujourd'hui : l'école serait un havre paisible où les enfants auraient le loisir de s'instruire...

On pourrait tout aussi bien répondre à la question par l'immeuble. Après tout, l'école est aujourd'hui ce bâtiment pas toujours triste, reconnaissable entre mille, dans lequel nos enfants sont rassemblés en dehors des vacances pour y vivre une expérience collective d'apprentissage sous la conduite d'adultes appelés "professeurs". Ils y vivent bien d'autres expériences sociales, lesquelles nous plongent dans une certaine nostalgie.

A propos de "de quelle école parle-t-on ?" la simplification hâtive (qui est mon mode de raisonnement favori vous l'aurez noté) est difficile. Il y a beaucoup de matches à disputer : public / privé, laïque / confessionnel / contrat / hors contrat... avec en réalité l'abus de langage qui consiste à mélanger "école" et "enseignement", car c'est plutôt d'enseignement qu'il s'agit. La discussion s'en irait alors sur les programmes... ce qui est finalement le cœur du problème "à quoi sert ?".

Alors, à quoi sert l'école ?

En ce qui me concerne, je rêve d'une éducation dont le but serait de rendre libre, c'est-à-dire conscient de ses responsabilités et prêt à s'engager au service des autres. L'école seule ne peut y parvenir, et c'est un autre débat autour de cet enjeu pas si neuf : devenir utile ou important.

Ne faisons pas d'histoires, à mes yeux l'école participe à l'éducation des enfants par la mise en scène des savoirs qu'elle propose, dans ce cadre social particulier qui en fait une petite société. Le problème, c'est qu'elle fonctionne souvent détachée du monde qui l'entoure, pas tout à fait au sens du rapport Bergé bien sûr, mais un peu quand même... avec ce foutu sentiment que les familles sont laissées sur le bas-côté, ou tout du moins au portail. Bref que l'on tombe dans ce piège de l'élève désincarné membre du groupe classe, malgré les efforts pour personnaliser les apprentissages et l'énergie que de nombreux enseignants consacrent à accompagner les élèves connaissant des difficultés.

Mais mon propos n'est pas pédagogique. Mon propos reste celui de l'observateur de la société, du membre du corps social en premier lieu. Celui qui constate des "incivilités" simples comme un papier gras qui traîne dans un amphithéâtre ou ne parvient pas à comprendre pourquoi tout le monde roule sur la voie du milieu sur l'autoroute. Celui qui ne s'offusque pas, mais qui déplore que les histoires de Dieudonné puissent être drôles, que les violences faites aux femmes fassent débat, que la laïcité soit confondue avec la haine des religions ou des arabes, qu'un enfant de 8 ans soit roué de coups, qu'il porte une kippa ou pas. Mais aussi, pourquoi les filles qui grandissent avec nos fils adoptent le voile, pourquoi les fils qui grandissent avec nos filles partent au Djihad ? Pourquoi tremblons nous chaque matin lorsqu'ils partent à l'école, comme s'ils allaient au devant de dangers ?

A nous les adultes, l'école doit nous permettre sans cesse de faire des projets d'avenir, car elle doit permettre aux enfants de penser que demain ils trouveront la solution aux problèmes d'aujourd'hui. Ne pas les borner aux savoirs, mais leur donner les clés pour tous les découvrir. Leur apprendre à parler plutôt que se taire pour écoute. Ne pas les priver de liberté, mais ne pas leur donner tous les droits. Ne pas les priver de s'émerveiller, accepter que tout ne peut pas être expliqué, décortiqué, schématisé.

Une école pour triompher de nouveaux obscurantismes

Succédant à l'école des curés accusée de confondre science et croyance, en réalité une école napoléonienne destinée à soumettre les esprits au projet impérial, l'école de la République est née de Jules Ferry et Ferdinand Buisson pour la reconquête de l'Alsace et la Lorraine. Les hussards noirs de la République avaient à cœur de former des patriotes et des soldats, des femmes et des hommes courageux et capables d'efforts, au nom d'un idéal commun.

Ce qui manque à l'école aujourd'hui c'est cela, un idéal. Sous couvert d'universalisme et de laïcité, le seul horizon de l'école est devenu l'emploi. Au point que l'on consulte les entreprises lorsqu'on parle de réformer l'enseignement. Mais on ne va pas à l'école pour trouver du travail ! Quelle confusion entre scolarité et formation professionnelle, dans un pays qui méprise les formations préparant justement les jeunes à un métier...

Alors, soyons bien sûr de nous comprendre : on ne va pas non plus à l'école pour faire apprendre à faire la guerre (quoique les enfants aient été entraînés à toutes les situations terroristes du moment). Mais pourquoi alors nos jeunes sont-ils si sensibles à tous les fanatismes ?

En 1888, Jaurès adressait dans la presse une lettre ouverte aux instituteurs. Je vous laisse avec ce texte et une question : lequel de nos maîtres pourrait aujourd'hui faire sien ce programme ?

« Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confèrent, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation.
Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fermeté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette oeuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. » 

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Cordialement,
Marc Guidoni